Le prix Nobel de littérature 2004 Elfriede Jelinek publie, au fur et à mesure qu’elle l’écrit, son nouveau roman sur son site web
Elle n’est pas la première, Stephen King s’était livré il y a quelques années à cette expérience avec « The plant ».
Ce qui est intéressant, c’est que cet écrivain autrichien, qui vit très retirée et fuit les médias, parle avec enthousiasme d’Internet :
“I find the Internet to be the most wonderful thing there is. It connects people. Everyone can have input.” – cité sur print is dead blog (sic)
Pour des auteurs de plus en plus nombreux, Internet est un terrain d’expérimentations et d’échanges. Mais peu ont fait le même pari que certains musiciens, comme les Arctic Monkeys, téléchargés massivement avant d’avoir pressé leur premier CD : celui de publier leur travail sur le web pour se faire connaître, et, pourquoi pas, trouver ensuite un éditeur. Il est plus fréquent de publier sur Internet des travaux parallèles, des textes secondaires, et de garder par devers soi son « grand oeuvre », destiné aux honneurs du livre…
Quelque chose me dit que d’ici peu de temps, on dira moins souvent « je vais acheter tel livre » que « je vais en acheter la version papier ». Le livre imprimé ne disparaîtra pas, il deviendra une occurrence parmi d’autres d’une oeuvre dématérialisée, disponible sur différents supports.
Et peu m’importe le support, si je peux toujours y lire des propos comme ceux-là :
Elfriede Jelinek :
« Wer ist denn schon bei sich, wer ist denn schon zuhause ». Ces vers sont extraits d’un poème d’Elfriede Gerstl. Qu’est-ce qu’être soi-même ? Les écrivains qui crient constamment au « je » en se désignant eux-mêmes ne m’intéressent pas. Seuls m’intéressent ceux qui connaissent la vulnérabilité du moi. Ceux qui disent « je » mais désignent autre chose qui n’est ni leur ça ni même leur sur-moi mais tout ce qui les traverse en écrivant, et je veux me compter parmi eux. Ce sont des écrivains de l’écriture chiffrée. Des écrivains qui, lorsqu’ils écrivent, cessent d’être vraiment eux-mêmes. Lorsque j’écris, par exemple, j’entre dans un état de transe stimulante, un état entre la veille et le sommeil, mais qui n’est ni l’un ni l’autre.
(extrait d’une interview publiée dans le dossier réalisé par Arte Radio)
Bonne initiative à terme pour faire de la communication sur un ouvrage.
Intéressant qu’ici ce soit un auteur connu qui s’y mette, mais dans le futur on peut imaginer voir émerger via ce type de moyen des nouveaux auteurs (le cas cité dans ce billet des Arctic Monkeys pour la musique, même si en rock l’exemple de The Arcade Fire ou de Clap your hands say yeah conviendrait encore mieux).
Il manque encore cruellement un élément par contre pour voir décoller ce type de littérature: un nouveau média endossant le rôle d’expert (en musique Pitchfork est devenu maître incontesté en la matière).
Les technologies vont arriver très vite, les auteurs ont déjà du contenu sous la main, c’est donc vraiment un média jouant un rôle d’éclaireur et tranchant avec les habitudes trop pédantes de la critique littéraire qu’il reste à créer.
Détrompes-toi quand aux experts, ils seront plus présents que jamais même si on changera en quelque sorte de « mandarins ».
On a tendance à surévaluer le rôle des communautés par exemple sur le cas de la musique, les médias reprennent myspace et les blogs musicaux à tout tête, mais il y a des nouveaux critiques derrière cela qui ont donné un sens à ces scènes musicales, à tous ces genres qui montent en force (toute la scène indie par exemple, le post-rock, les nouvelles tendances en folk etc…). Les critiques classiques (c’est à dire des médias classiques) repompent sans trop se poser de question ces nouveaux influenceurs.
Il y aura de nouveaux prescripteurs du livre non pas dans la forme (ça restera une critique) mais dans les valeurs attribuées au livre, traitant de l’expérience même de la lecture alors qu’elle embrasse la corne d’abondance qu’est le numérique.
Il y a un excellent article sur les fondements d’une nouvelle critique littéraire dans le Harper’s du mois d’Avril: http://www.harpers.org/archive/2007/04/0081479
L’auteur de l’article ne traite pas du tout du numérique, mais sa description d’une nouvelle forme de critique littéraire, qui à bien des égards ressemble à ce qui a pu se faire avec le passage à une critique musicale en ligne.