Bien sûr, je ne vais pas raconter par le menu dans l’ordre chronologique l’ensemble des rendez-vous prévus dans le cadre de ce voyage d’étude. Tous sont intéressants, chacun pour des raisons différentes. Celui que j’ai envie de partager avec vous ce soir, c’est plus qu’un rendez-vous, c’est une vraie rencontre, deux heures exceptionnelles chez Bob Stein, dans sa maison de Brooklyn, où il nous a merveilleusement accueillis. Je croyais bien connaître son parcours, et je l’avais déjà entendu à Paris il y a quelques mois. Mais Bob Stein n’est pas de ceux qui vont d’une table ronde à une conférence en répétant en boucle un message qui varie à peine d’une fois sur l’autre. Il expose avec une telle conviction, et une telle précision, une vision de l’avenir du livre construite sur un travail de recherche, d’expérimentations, d’écoute, et de réflexion, que chaque rencontre est un moment de grande qualité. Il nous a raconté la manière dont il est passé des recherches centrées sur les œuvres et les nouveaux moyens d’expression mis à la disposition des auteurs (l’époque du multimédia où il fut l’un des grands innovateurs), à une approche centrée sur le passage d’une lecture individuelle à des lectures collectives, collaboratives, illustré par les développements autour de CommentPress, et l’ensemble des expérimentations menées autour de cette idée : « A book is a place ».
Il était particulièrement intéressant de l’entendre évoquer ces expériences de lectures collectives asynchrones que permet le livre situé « dans le nuage », et évoquer également le fait que la réussite de ces expérimentations dépend en grande partie de l’engagement des auteurs, de ceux des auteurs qui acceptent d’être lus non seulement comme il est de coutume une fois que leur travail d’écriture est terminé, mais aussi pendant que le travail est en cours, écrivant en quelque sorte à ciel ouvert, partageant avec leurs lecteurs le moment de l’élaboration, ses lectures, ses échanges, ses tâtonnements. Pour lui, il faudra du temps pour que ces pratiques deviennent courantes, comme il a fallu du temps, après l’invention de l’imprimerie pour que se stabilisent les formes littéraires et les formes de publication qui ont cours aujourd’hui. Son credo : redéfinir le « contenu », pour qu’il puisse inclure les conversations qui se développent autour. Les maisons d’édition qui réussiront dans un monde numérique seront celles, nous dit-il, qui auront su développer leur capacité à animer des communautés de lecteurs. Bob Stein voit l’iPad d’un très bon œil, trouvant à ce terminal de lecture les qualités nécessaires à ce développement de la lecture sociale. Il rappelle comment, il y a 18 ans, il passait pour un grand original lorsqu’il expliquait qu’il était possible de lire sur un écran, en cliquant pour tourner la page, et s’attend à ce qu’il soit nécessaire qu’un certain temps, peut-être moins long que ces 18 ans, se déroule avant que les idées qu’il expose aujourd’hui sur l’évolution de la lecture s’inscrivent dans une réalité qui dépasse le stade expérimental.
Cette idée des auteurs développant une activité de création en ligne, et cessant petit à petit de considérer le livre imprimé comme la forme suprême de consécration de leur travail est déjà présente, me semble-t-il, au sein de la blogosphère littéraire en France, ce dont j’ai souhaité lui faire part. Il n’y pas d’équivalent exact de ce mouvement aux Etats-Unis, même si certains auteurs ont une fort « présence web », mais qui continue d’être essentiellement au service de la promotion de leurs œuvres imprimées. Toutefois, le web ici aussi a changé les choses, offrant le possibilité aux lecteurs d’entrer directement et plus facilement en contact avec les auteurs.
À ma question concernant l’accueil que les éditeurs américains faisaient à ses idées, Bob a répondu simplement : aucun. Pour la plupart d’entre eux, a-t-il dit, je n’existe pas. Mais il dit aussi comprendre leur façon d’agir actuelle, pris comme ils le sont dans des logiques de rentabilité et des contraintes de marché, et de définition de modèles soutenables leur permettant de vivre sans trop de fracas la période de transition que nous connaissons aujourd’hui. Voilà un homme qui a une vision extrêmement forte de l’avenir du livre et de la lecture, mais qui ne tombe à aucun moment dans la position du prophète marginalisé, ni dans un discours polémique et stérilement agressif envers les éditeurs. Très attentif, à l’écoute de nos questions, se concentrant visiblement pour y apporter une réponse qui ne laisse aucune place à la formule toute faite ou à la langue de bois, mais soit bien l’expression de sa pensée profonde. Penser avec, penser ensemble, la vision de Bob Stein a été mise en pratique pendant cette rencontre, dont nous sommes tous sortis avec cette certitude : nous avions, un moment, réfléchi ensemble à ces questions, formant une petite communauté, animée par les propos d’un visionnaire.
(photo : après cet échange, Bob et sa femme nous ont offert un excellent vin et des fromages délicieux, et la discussion s’est poursuivie de façon informelle. Marion a bien sûr invité Bob à Vauvert…)
Oh! que voilà un billet sympathique, et un personnage sympathique que ce billet évoque… Je pensais être seul à regarder la lecture collective (synchrone et a-synchrone) comme un dépassement de la lecture individuelle (cf. Lire est toujours un jeu de (bonne) société))… seul (ou presque) à proposer des textes en cours d’élaboration… et à ne pas exister pour les éditeurs… Vous me désignez ainsi, Virginie, un jeune frère qui est sans doute déjà beaucoup plus avancé que moi sur le chemin d’une « nouvelle lecture »… et je vous en remercie…
Comment dit-on chez Racine: la suite de votre voyage « enflamme mon désir curieux… » (ce dernier mot devant se prononcer en 3 syllabes dans le vers)?…
oui, en cours de route, tu devrais nous faire une petite liste de blogs création US – le modèle de l’auteur publiant son livre et intégrant le widget amazon semble vraiment dominant, et le blog alors n’est que la médiation du livre imprimé, avec cette forme de vente directe par l’auteur
semble aussi que blogspot modèle dominant, donc pas de prise en charge de « l’identité numérique » par l’auteur
quand même des exceptions, j’en avais repéré quelques-uns ici
http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article1274
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