Je suis en train de préparer une courte intervention que je dois faire le 26 novembre prochain à une journée d’études organisée à la BNF sur l’avenir du livre de jeunesse.
C’est en recherchant des exemples de livres numériques destinés aux enfants que j’ai redécouvert le site de l’ICDL, ou « International Children’s digital library », une bibliothèque numérique mondiale de livres pour la jeunesse. Un projet financé par plusieurs institutions publiques et des sociétés privées américaines ( National Science Foundation, Institute of Museum and Library Services, Microsoft, Adobe). l’ICDL permet d’accéder, en 11 langues à des livres issus de 42 pays. Livres anciens du domaine public (dont ce délicieux Bébé sait lire), ou livres plus récents dont les ayants-droit ont autorisé la numérisation et la publication en ligne, comme cette version hongroise et toute en images du Petit Chaperon Rouge. Extrait de la lettre du directeur, publiée sur le site :
« De tout ce que la Bibliothèque accomplit, ce qui nous donne le plus de fierté est le fait que nous avons des centaines de volontaires tout autour du monde qui forment la véritable équipe de la Bibliothèque. Ils identifient de merveilleux livres pour la Collection, ils s’occupent des droits, ils envoient les livres physiques ou les fichiers des livres scannés. Ils donnent la parole aux utilisateurs. Bref, ils sont la Bibliothèque. Pas un jour ne passe sans qu’ici, à la Fondation, nous ne soyons émerveillés par leur bonne volonté et leur patient acharnement. »
Le design est un peu rustique, mais on trouve très vite comment naviguer parmi les livres, et la consultation est agréable. (Tiens, à propos de consultation et de feuilletage, cela me permet de rebondir au passage, comme l’a déjà fait Hubert, sur le passionnant article à propos de Calameo paru sur NT2).
Lorsque je travaillais pour les enfants, avec l’équipe de Tralalère et avant, lorsque je participais à la réalisation de cédéroms interactifs jeune public, le livre était tout à fait en dehors du champ de mes préoccupations (professionnelles, car à la maison je hissais mes enfants encore petits sur mes genoux pour leur raconter les aventures de Biboundé ). Livre et numérique étaient deux mondes bien distincts. Je n’avais pas vraiment été fan du livre de Lulu, qui déjà simulait – de manière très réussie d’aileurs – à l’écran un livre dont les pages se tournent. Au premier plan de toutes nos réflexions de l’époque : l’interactivité, l’ergonomie des interfaces, le graphisme, l’ajout de sons, d’animations, et le fait de profiter à fond des possibilités offertes par un ordinateur. Les livres étaient en papier, tous ces trucs qu’on faisait avec le numérique, ce n’étaient pas des livres. On ne pensait pas aux livres. Et même, le fait d’imiter un livre me semblait une absurdité, un anachronisme. Rien ne se faisait « contre » le livre. On n’évoquait pas Gutenberg à chaque instant, ni la bonne-odeur-de-l’encre-et-du-papier. On apprivoisait ces drôles de machines, encore bien poussives, chères, et pas encore massivement connectées à Internet en train d’apparaitre.
Aujourd’hui, on ne dit plus un enfant, on dit un digital native. On fabrique quand-même des dessins animés pour leur apprendre à bien se servir du web, aux digital natives. On donne des tas de conseils aux parents sur le moyen de donner à leurs enfants le goût de lire. On réfléchit à ce que sont les lectures industrielles. Est-ce qu’ils vont s’acheter des nook, les digital natives ? Est-ce qu’ils voudront lire/regarder des vook ?
Et moi, il va bien falloir que je poursuive cette réflexion et y mettre un peu d’ordre d’ici le 26 novembre…
L’apprentissage de la lecture s’est toujours opéré sur le mode de la lecture partagée. Et le premier avantage de l’édition numérique sur l’édition papier consiste en ce qu’elle permet un meilleur partage du texte.
En fait d’apprentissage de la lecture, je ne songe pas seulement à la technique du déchiffrement qui s’acquiert le plus souvent à l’école. Mais aussi à cette initiation progressive, portant sur toutes les dimensions de la culture livresque, qui s’opère dans les familles, dans les quartiers, aussi bien qu’à l’école.
Il est plus facile de lire à deux ou trois sur l’écran d’un ordinateur portable que sur un livre, et beaucoup plus facile encore de le faire à quinze ou vingt sur l’écran mural de la vidéoprojection.
L’école de Jean-Baptiste de La Salle avait inventé les livres à exemplaires multiples. Pour bien comprendre la révolution qui s’opére aujourd’hui avec le numérique, il faut comprendre la révolution qui a fait passer l’Europe du 18e siècle de l’enseignement individuel à l’enseignement collectif de la lecture, grâce aux livres à exemplaires multiples. Sans eux et sans le meilleur partage de la lecture qu’ils permettaient, jamais les pratiques de lecture ne se seraient démocratisées comme elles l’ont fait au 19e siècle. Or, le partage est bien plus étroit encore quand on lit ensemble sur le même écran.
Sur un écran, il est plus facile de montrer ce que l’on lit – que ce soit une phrase, un seul mot, un graphème, ou une image -, et de réagir à ce que l’on lit, et d’en parler ensemble. La lecture écranique favorise les interactions dans le groupe des lecteurs, qui ont les mains libres, qui peuvent se déplacer. Et les meilleurs livres numériques ne seront pas nécessairement les plus beaux, mais ceux qui feront la part la plus belle – la plus active – au lecteur collectif.
C’est du moins ce à quoi tendent les Moulins à paroles (m@p) produits par notre atelier Voix Haute. Dans ces m@p, le texte se déroule et se défait, ce qui conduit le lecteur individuel ou collectif à le reconstituer sans cesse, et ainsi à le mieux pénétrer.
http://sites.google.com/site/voixhautedocs/moulin-a-paroles-m-p/jeudelecture
Beaucoup diront que le livre est d’abord un dispositif à usage individuel. Et ceux qui défendent ce point de vue attendent du numérique qu’il favorise en priorité l’autonomie du lecteur. Or, il est incontestable (mais il faut le rappeler) que le livre a toujours été aussi (et sans doute d’abord, du point de vue historique) un dispositif à usage collectif. Que l’on pense aux livres religieux. A la Bible. Au Talmud ou au Coran. Et puis, surtout, nous parlons de lecture enfantine. Depuis 68, les adultes sont toujours impatients de rendre les enfants plus autonomes. Et donc d’en faire des lecteurs autonomes. Mais l’expérience me montre que là n’est pas le désir des enfants eux-mêmes, ni leur besoin. Quant à eux, ce ne sont pas livres qui les intéressent d’abord, mais bien les échanges qu’ils peuvent avoir à l’intérieur d’un groupe, fût-il réduit à un duo. Et notre tâche est de leur montrer que les livres sont de merveilleux supports d’échanges entre humains. Les plus merveilleux sans doute. Même et surtout quand les autres ne sont enfin plus là, à portée de voix et de main. Montaigne pouvait se retirer dans sa librairie. C’était pour mieux dialoguer avec les meilleurs esprits de tous les temps. J’ai fait mon slogan de ce que La lecture est toujours un jeu de (bonne) société.
Amitiés.
Petit apparté pour ceux qui apprécient les versions hongroises du Petit Chaperon rouge, sa forme finale est de papier même s’il a probablement été conçu numériquement ;-)) http://www.suprbo.com/2009/10/des-pixels-pour-un-chaperon-rouge/
Je rebondirai, si je peux me le permettre, sur ces mots qui me sont restés du colloque Archimage : « l’errance » et le « fragment…
Et si nous autorisions l’errance dans la lecture ? Car le fragment est inévitable aujourd’hui.
http://www.inp.fr/index.php/fr/colloques_et_conferences/colloques/archimages09_recherche_et_archives
Et où classez-vous les applications pour i-phone qui évoquent / miment / plagient / prolongent le livre pour enfants, par exemple celles qu’on achète sur istorytime?
http://www.istorytimeapp.com/
@Cécile En suivant les liens ouverts par votre nom, suis arrivé au site d’acces, que je ne connaissais pas, et que j’ajoute au blogroll de voixhaute.fr. Mes ateliers ont été accueillis d’abord par un psychanalyste, élève de F. Dolto, M. Georges Juttner, et voici 5 ans que j’interviens dans un CMP qu’il dirige. Merci donc.
@Christian: ce chemin de petits cailloux blancs, qui vous a mené d’un commentaire sur les « livres virtuels » aux travaux d’ACCES (http://www.acces-lirabebe.fr/) sur les liens entre adultes, enfants, livres et paroles, ne peut que me réjouir! Si j’osais, je sèmerais encore quelques cailloux, vers le blog de l’association Livre Passerelle: http://livrepasserelle.blogspot.com/
Au plaisir de partager des lectures… à voix haute.
Ping : Livre et lecture à l’ère du numérique « Voix Haute
Pour rebondir à la fois sur le livre web et le petit chaperon rouge il me semble que la toile peut nous proposer un usage un peu différent, à mi chemin entre l’animation et le livre traditionnel.
Je me permets de vous soumettre la suite du petit chaperon rouge, dont vous savez tous comment il fut libéré par un bûcheron. Le loup en revanche fut abandonné le ventre rempli de gros caillous. Mais qu’advint-il après?
Le lien: http://www.leloup-apres.blogs.fr/ dans la version animée.