C’est ainsi que Michel Rocard dans son rapport « République 2.0 – Vers une société de la connaissance ouverte » qualifie le contexte économique de l’édition numérique éducative :
« – Au delà de la politique d’achat, la production de ressources pédagogiques a besoin d’une complète remise à plat : les juxtapositions permanentes de systèmes d’évaluation souvent contradictoires, la faiblesse relative des aides à la recherche-développement (à peine compensée depuis peu par la politique de pôles de compétitivité), les jeux complexes et conflits avec les organismes publics de production de ressources pédagogiques (CNED – CNDP – INRP), les multiples étapes administratives empêchant la diffusion des innovations dans les établissements scolaires eux-mêmes dessinent pour les éditeurs d’éducation numérique, un écosystème globalement stérile. »
Guère plus encourageant, le rapport (que j’ai fini par lire, ouf !) sur la contribution des nouvelles technologies à la modernisation du système éducatif égratigne au passage les éditeurs : trop petits, ou trop gros, ou trop nombreux, ou trop classiques, ou trop soucieux…
« Paradoxalement, alors que le support numérique devrait faciliter la diffusion par rapport au marché de la ressource « papier », la multiplicité des producteurs de contenus pédagogiques numériques et la petite taille d’un certain nombre d’entre eux, conjuguées à la réticence des éditeurs classiques soucieux de préserver le marché « papier », rendent complexe la mise en place de plates-formes de distribution nationales, qui ne seraient pas réduites à un simple catalogue hétéroclite de produits variables en fonctionnalités, utilisation et qualité. »
« Proposition n°23 : Mettre en cohérence le système d’encouragement et de soutien à la production, en réservant les crédits d’acquisition d’État aux produits qui ont reçu la marque RIP et répondent à des besoins exprimés par le Schene et en concentrant les subventions directes à la production sur des services multimédia « structurants ». »
J’ai beau chercher, je ne vois pas ce que sont des services multimedia « structurants », une triple lecture de la page entière me fait penser qu’il doit s’agir simplement de produits dignes du RIP et répondant au Schene.
Cela permettra-t-il à notre écosystème en perdition de retrouver sa fertilité ?
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Merci Virginie de lancer ainsi la discussion sur ces deux rapports qui me semblent très importants pour le monde de l’éducation, de façon générale, et pour celui de l’édition, de façon particulière.
Je manque de temps pour développer maintenant mon point de vue, mais j’aimerais dire à ce stade que je souhaite que la discussion puisse être constructive. On peut être sévère sur ces rapports, on peut être critique au sujet de certaines propositions, on pourrait même tirer à boulets rouges sur quelques passages, mais je pense que ce serait vain… pour le moment du moins.
Parce que pense que le contexte nous invite plutôt à considérer ces rapports comme des témoins de la perception qu’ont aujourd’hui les fonctionnaires (certains fonctionnaires) et les politiques (certains politiques) de la situation de l’édition numérique éducative. Ces documents témoignent de leur façon d’interpréter les choses; ils nous permettent de mieux comprendre le regard qu’ils portent sur notre activité, sur la nature de notre expertise et de nos compétence — sur nos forces et nos faiblesses.
C’est sous cet angle que j’ai d’abord envie d’interpréter les documents — bien davantage que pour chacune des propositions/recommandations qu’ils contiennent.
Pour cette raison, j’invite les gens qui liront le rapport de la mission d’audit à porter une attention particulière à la réponse que formule à son sujet le ministère de l’Éducation — parce qu’elle rend bien compte, il me semble, de la nature des mécanismes « d’explicaton/justification » qui opèrent au sein du ministère. Il ne s’agit pas pour le moment d’en juger, mais de comprendre ces processus qui empêchent ou qui nuisent aux remises en question qui pourraient éventuellement s’avérer nécessaires.
Alors… après avoir lu ces documents, demandons-nous quelle vision du rôle de l’éditeur guidait leurs auteurs? Quel place accordent-ils spontanément aux éditeurs dans la modernisation du système éducatif? Quelles distinctions sont-ils en mesure d’établir entre une ressource issue d’un processus éditorial structuré par rapport à un autre qui ne l’est pas?
Je pense qu’il est nécessaire de répondre à ces questions, afin de mieux comprendre nos interlocuteurs, avant d’aller un peu plus précisément dans la critique de certaines de leurs propositions.
Sur ce, bon weekend!
Encore un problème de décalage entre
• l’économie de diffusion/distribution d’un média ;
• l’économie d’édition selon une technique donnée, pour un marché donné ;
• les objectifs des utilisateurs/acquéreurs/prescripteurs.
Les « plates-formes » de distribution (KNE/CNS) offrent certes une amélioration nécessaire face à la complexité de la recherche d’un produit numérique interactif.
Mais quel enseignant (ou responsable d’acquisition de moyens d’enseignement) va chercher « un produit numérique/interactif » sinon pour justifier de l’usage des matériels (et dans ce cas, peu importe le produit, il s’agit de faire fonctionner la technologie de restitution avant de prendre en compte son utilité) ?
Sur un marché, on a des vendeurs de fruits et légumes qui ne font pas le même métier que les crémiers. Mais au moins, sur le marché, on peut se ravitailller de manière à se faire les provisions variées qui composent un repas « complet ». Les clients viennent « faire les courses » sur le marché, et s’attendent à trouver un ravitaillement varié et complémentaire pour un objectif, s’alimenter.
Si le service n’était pas « multimédia » mais « multiple support » et proposait de quoi répondre de manière équilibrée à des problèmes pédagogiques, sans doute avec l’aide de catalogues organisés en LOM, serait-il considéré comme « structurant » ?
« les éditeurs devront-ils devenir […] »
La réponse peut sensiblement varier suivant l’interprétation de ce « devoir », la conception que ces éditeurs ont de leur activité et leur capacité à motiver des investisseurs.
« Devoir » est-il à prendre au sens de « seront-ils contraints par les évènements » (modalité aléthique?), « auront-ils intérêt à » (rationalité économique), « seront-ils appelés à » (modalité déontique?) ?
Au sens de contrainte des évènements, le raisonnement peut se construire ainsi :
si l’activité d’édition scolaire est importante pour l’éditeur parce qu’il ne sait pas faire autre chose (ses équipes de production et commercialisation étant trop spécialisées pour être reconverties économiquement à d’autres activités), l’évolution vers celle(s) des activités qui émergeront de la demande des usagers sera un passage obligé, et il faudra à nouveau se demander si l’éditeur scolaire en question pourra s’organiser en conséquence. Encore faut-il qu’une demande émerge.
S’il s’agit de rationalité économique, c’est qu’on pense que le marché sera sans doute structuré par l’offre éditoriale parce qu’un modèle économique montre un bénéfice au changement (pour des acteurs installés comme pour de nouveaux entrants, d’ailleurs). Ou bien notre éditeur scolaire voit un bénéfice à modifier son organisation, ou bien il y est amené par le jeu de la concurrence, mais les usagers finaux auront peu de poids dans le domaine.
Or, actuellement, les modèles de « pourvoyeurs d’expériences pédagogiques » se passent fort bien de sélection et d’édition. De même pour les modèles « animateurs de communauté ». Et les frais de fonctionnement de ces pratiques timides, rares et peu généralisées sont couverts par le bénévolat ou la vente d’espace publicitaire…
Les « dispensateurs de moments d’apprentissage » ? [Un bel euphémisme pour prof !] ça évoque les « petits cours » et c’est dans ce cas un marché sans commune mesure avec ce que le « prescrit » représente. Restent donc les « services », mais quels services ?
Le « devoir » inférant une obligation sociale impliquerait une action des pouvoirs publics et/ou politiques.
Si l’édition scolaire est considérée comme un besoin social qui motive législation, régulation et vocation industrielle (il y a des investisseurs éthiques…), l’évolution sera fonction de la conception de l’éducation, de la définition que les acteurs de la communauté éducative formaliseront et de la création d’un modèle de fonctionnement qui s’insère dans une économie générale.
Jusqu’à présent, l’innovation n’est guère venue du côté des institutions et des élus…
Le MENESR n’a pas vocation à intervenir dans la politique de développement industriel et se méfie des nouveautés : les modèles économiques reposant sur la publicité ont été régulièrement écartés (sans être véritablement évalués par rapport au modèle porté par l’édition scolaire) avec des débats un peu rituels sur le public et le privé.
Le fait que le rapport de la mission d’audit soit cosigné par le Minefi et le MENESR était un signe encourageant, mais le résultat est décevant et donne l’impression que le travail a été fait bien plus par et pour les personnels du MENESR qu’au niveau national. La liste des personnalités extérieures rencontrées est gravement déséquilibrée, il manque manifestement l’opinion de beaucoup des acteurs.
Peu d’indications donc qu’il y ait là des éléments de réponse à la question.