Mike Elgan publie dans Computer World un article discutant 6 tendances qui devraient favoriser selon lui une rapide popularisation des livres numériques.
Les 6 points en question seraient :
1. L’économie. Dans le climat économique actuel, les gens vont se tourner vers des terminaux comme le Kindle rentabilisés dès l’achat de 20 ou 30 livres, et qui ensuite permettent d’acheter moins cher livres, magazines et journaux.
Le premier de ces 20 livres achetés sera-t-il encore lisible sur le terminal au moment de l’achat du 20ème ? Tant que subsisteront l’eBabel (la multiplicité des formats ), les DRM, et que la compatibilité ascendante des terminaux ne sera pas assurée, cette économie sur de futurs achats risque de demeurer hypothétique. Et franchement, il est peu probable que beaucoup de gens touchés par la crise économiqe se disent, « tiens, pour économiser sur les livres, je vais dépenser 300 euros toute de suite ». Je crois plutôt qu’ils prendront une carte à la bibliothèque municipale.
2. L’environnement. L’intérêt pour la protection de l’environnement ne cesse de croître. L’idée de lire son journal quotidien, hebdomadaire ou mensuel sur du papier semble un gâchis incroyable. La conscience environnementale va augmenter l’acceptance des livres numériques.
Les premiers utilisateurs et défenseurs du livre numérique, ceux qui lisent depuis des années sur leur palm pilot, désignent habituellement les livres imprimés comme des « livres faits avec des arbres morts ». Et l’industrie de l’édition, comme toutes les autres, comme chacun d’entre nous, doit se préoccuper de son empreinte écologique. Ne pas oublier tout de même que les datacenters ont également une empreinte écologique. Et que deviennent nos vieux PC, nos téléphones cassés ? Que deviendront nos liseuses ?
3. Une révolution dans l’édition. L’industrie du livre est l’une des plus rétrogrades, moisies, obsolètes de notre économie. Alors que toutes les autres sortes d’informations se transforment à la vitesse de la lumière, le processus de publication d’un livre est à peu de chose près aujourd’hui le même qu’au Moyen-Âge.
Et pan pour l’édition. Moisie, l’édition ? Ce paragraphe tient pour indiscutable que le changement rapide est forcément et dans tous les cas une bonne chose. J’aurais tendance à me réjouir quant à moi du fait que le monde du livre oppose une certaine résistance au changement. Tout dépend ce que l’on met derrière ce terme de résistance. S’il s’agit de continuer d’apporter soin et exigence à toutes les étapes de la création d’un livre, je dis oui. S’il s’agit de refuser de considérer les livres de la même manière que des barres de confiserie chocolatées et les « contenus culturels » comme de la pâte dentifrice, je remercie les éditeurs de tenir bon. Ensuite, lorsque cette résistance au changement est simplement un rejet du nouveau, une peur de l’inconnu, une inquiétude face aux technologies, une ignorance voire un dédain pour les pratiques liées à l’usage du web, cela signifie simplement qu’il faut continuer d’expliquer, d’informer, de former. Et le faire vite, parce que c’est urgent. Sinon, ceux qui ne méprisent pas mais au contraire maîtrisent les technologies prendront une importance croissante dans le monde du livre. Et parmi eux, il est possible que trop de gens considèrent les livres comme des barres de confiserie, et votre attention comme du « temps de cerveau disponible » entre deux publicités.
4. L’avènement d’un marketing agressif. Comme le passage du cinéma muet au cinéma parlant, la transition vers l’édition numérique va se révéler fatale pour les retardataires. Ceux qui se lancent énergiquement dans le développement des livres numériques seront en mesure de prendre le contrôle de l’industrie du livre. Une part de cette révolution aura lieu du côté du marketing des livres numériques.
Produire de nombreux livres numériques est une chose. Comprendre comment Internet change la relation avec les lecteurs en est une autre, et qui concerne tout autant, et à ce jour bien plus massivement, la diffusion des livres imprimés que celle des livres numériques.
5. L’apparition de livres écrits pour une lecture électronique. Le passage de l’imprimé au numérique aura un impact sur la nature même des livres. Beaucoup de livres seront plus courts. Ils seront plus dans l’air du temps et en phase, culturellement, avec les lecteurs. Ils seront plus colorés et d’une écriture plus engageante. Et ils séduiront les jeunes lecteurs comme rien d’autre avant.
Voir à ce sujet discussion et commentaires sur La Feuille.
6. Le déclin de la presse écrite. Enfin, la presse écrite se meurt. Les journaux qui vont adopter le support numérique vont survivre, les autres non.
Le journaliste rapporte un calcul paru ici : On a déterminé que le New York Times pourrait offrir un Kindle à chacun de ses abonnés et que cela coûterait moitié moins cher que de leur envoyer leur exemplaire papier chaque jour pendant un an. Mais cet argument n’en est pas un. Comme le souligne Martyn Daniels, tout texte lu sur une liseuse n’est pas nécessairement un livre numérique. Lecture de journaux et lecture de livres ne sont pas concurrencés exactement de la même manière par le web. Mais il est toujours utile de sortir un peu de son monde, et de regarder ce qui advient chez les autres : dans la presse, l’audio-visuel, la musique. Il y a toujours des choses à apprendre, seulement il ne faut pas tirer des conclusions trop hâtives, qui pourraient manquer les spécificités de chaque domaine.
(temps de rédaction 2h – j’ai décidé de copier sur Olivier)
mouais… ça nous enferme encore trop dans les modèles de transposition du livre vers le numérique, plutôt que d’interroger directement les nouveaux usages numériques, et savoir comment on peut y importer la lecture dense – ce qui peut sembler jouer avec les mots, mais me semble de plus en plus un concept différent…
à compléter par le goût que tu sembles avoir de ton iPhone, et que les « liseuses » vouées au livre sont bien en peine de donner? – enfin je n’aime pas du tout cette histoire de marketing : notre curiosité des blogs, des voix, de la discussion interactive ne cesse de grandir et grossir notre rapport à l’Internet en dehors de tout espace marchand – les « vecteurs » littéraires ou textuels de toute sorte dont nous souhaitons la circulation, y compris rémunérée, sur le Net naîtront d’une extension de ces usages et pas de la consommation passive de lecture, qui n’est pas un phénomène lié au livre de façon pérenne, tient plutôt à sa récente figure depuis le livre de poche
curieux aussi de voir le point 1 mettre le doigt sur le rôle des bibs
oui, c’est vrai que j’ai ripé les galoches de ces questions « chaîne du livre » et que j’ai du mal à revenir de ce côté-là…
et pour les petits bidules fascinants, ai récemment testé le petit NetBook Dell Inspiron (Aldus a le même) avec Linux Ubuntu c’est franchement impressionnant le plug and play aussitôt en réseau… on n’a pas eu le temps d’en parler plus l’autre matin, mais ce qui me fascine dans l’iPhone (ou mon iTouch) c’est que j’ai quasi plus de plaisir à lire lemonde.fr ou le NYT en ergonomie iPhone que sur l’ordi : le monde dans la paume, images comprises
quant au marketing oui, on va créer une direction spéciale études à publie.net et signer avec Relay!
Merci de cette mise au point sur un article agaçant et nuisible, par son accumulation hétéroclite de clichés, de demi-vérités et de démagogie trop aisément démontables.
Comment faire avancer une prise en main collective des médias numériques avec de meilleurs arguments ? Sans doute en analysant mieux les problèmes posés, la situation actuelle de l’offre des TIC et en proposant des critères d’évaluation des avantages promis.
Crise économique et environnement peuvent être de bons arguments, à condition de ne pas les faire voler en éclats en les juxtaposant sans plus d’articulation.
Il est proprement démagogique de ressasser l’image émotionnelle du bois mort, réduit en purée, à propos du papier sans mettre en évidence que deux problèmes plus cruciaux sont induits par ce support :
la pollution induite par sa fabrication
la consommation d’énergie fossile induite par son transport
Et il faut bien parler alors de ressources renouvelables et de recyclage.
Comment fonder en raison un passage à l’immatériel, aujourd’hui lié à une économie qui propose, à un coût marginal tendant vers zéro, pour reprendre l’antienne de Chris Anderson, les matériels utilisant des ressources non renouvelables (plastiques, métaux lourds, terres rares) et non recyclables une fois élaborées, et d’institutionnaliser leur renouvellement de plus en plus fréquent ainsi que leur consommation à l’échelle individuelle ?
Au moins un téléphone mobile par individu, renouvelé tous les deux ans…
Les budgets en services de communication, en consommation d’électricité sont sensibles.
Il va falloir vendre aux consommateurs touchés par la crise des projets qui démontrent immédiatement leur économie, pas un passage massif à des abonnements automatiquement reconductibles sans négociation aux changements de conditions contractuelles, individuels et non transférables, mais une pérennisation et une mutualisation de tout ce qui peut l’être.
Et vendre le même modèle aux entrepreneurs, qu’ils soient du côté du web ou aileurs…
c’est transmis de NY, Alain ? – en tout cas, je crois que ce serait bien d’aller plus loin sur ce versant caché de l’économie numérique et sa gabegie – en même temps dans une mutation de telle ampleur, comment ne pas faire évoluer nos matériels à mesure qu’avance la technologie (j’ai encore ici mon 1er Mac PowerBook avec son disque dur de 45 Mo que j’avais appelé « ocean »!) – pour moi, désormais, l’abandon du papier est radical et définitif pour tous les documents de travail, et ce qui m’arrive par la poste part aux 2/3 direct à la poubelle sans que j’y regarde : impressionnant la production de plaquettes quadrichromee et d’invitations de toute sortie, suis sûr qu’aux 35 centres dramatiques nationaux c’est un budget de l’ordre de 10 fois ce qu’ils consacrent à l’accueil de lectures – et le fait que la bibliothèque devienne une bibliothèque numérique c’est moins en terme de place que de disponibilité, et d’ergonomie de travail, annotations, reformatages
@F
Je ne crois pas qu’il s’agisse de »versants cachés », ni pour l’économie numérique, ni pour l’économie physique, mais de choix à rendre visibles, sensibles et à assumer si on veut préserver curiosité, désir et (sentiment de) liberté.
@A :en accord, et merci de nous y inciter
@V : dans les applis iPhone, cherche « Littré » c’est gratuit ! le dictionnaire sans les citations d’auteurs, mais c’est quand même tout un monde dans la paume…
« Le passage de l’imprimé au numérique aura un impact sur la nature même des livres. Beaucoup de livres seront plus courts. Ils seront plus dans l’air du temps et en phase, culturellement, avec les lecteurs. Ils seront plus colorés et d’une écriture plus engageante. Et ils séduiront les jeunes lecteurs comme rien d’autre avant. »
hum. Quelle horreur effectivement. Ca donne plutôt l’impression d’un renforcement de l’industrialisation de la culture. Il a peut-être raison sur ce point là, mais c’est à mille lieux de ce que j’attendrais pour ma part.
Pourquoi les arguments de Mike Elgan sont-ils au futur ? Un grand nombre de sites web thématiques répondent exactement, et depuis des années déjà, à tous ces arguments. Le tout lisible sur un netbook bien plus performant, ergonomique et multi usages que les liseuses. Et d’ailleurs, ça n’empêche absolument pas les livres imprimés de se vendre, bien au contraire. Si l’avenir de l’édition est de faire comme le web, c’est peine perdue.
» 2. L’environnement. L’intérêt pour la protection de l’environnement ne cesse de croître. L’idée de lire son journal quotidien, hebdomadaire ou mensuel sur du papier semble un gâchis incroyable. La conscience environnementale va augmenter l’acceptance des livres numériques. »
Assez drôle en sachant que les groupes d’édition (publiant dans notre bel hexagone plus de 4000 nouveautés mois a la louche et dont on sait que le 3/4 finira au pilon) semble maintenant investit d’une fibre (bois) écologique (eux qui ne consomme que 5% de papier recyclé dans la fabrication de livres) en poussant vers le ebooks et autres liseuses (fabriquées en Chine soit le second plus gros pollueur au monde après les USA !)
L’impression a la demande existe et est au point il y a meme une machine qui vous imprime votre livre en moins de 5 minutes a la demande. Pourquoi « oublier » cette solution qui pourrait vivre a cote d’un format numérique (quelque soit le support) ?
Je partage plusieurs des points de vues exprimés par les commentateurs précédents.
Ce qui me frappe, de façon plus générale, c’est que cinq des six « raisons » évoquées par Mike Elgan font davantage référence aux « acheteurs de livres » qu’aux « lecteurs » — et que cela les invalide pratiquement au départ, de mon point de vue. Il nous faut continuer à travailler pour le lecteur, accroître le plaisir à lire, améliorer le contact avec l’œuvre. C’est à ce prix qu’il y aura demain des acheteurs de livres — alors que répondre aux attentes des « acheteurs de livres » ne nous assure pas du tout qu’il y ait, demain, des lecteurs pour les œuvres des écrivains. Idem quand on accepte de parler de « contenu » pour parler d’une œuvre présentée sous une forme numérique.
La seule « raison » de Mike Elgan qui concerne directement le lecteur, c’est la cinquième. Et s’il peut être facile de la tourner en dérision parce que trop portée sur le « marketing » ou sur « l’industrialisation de la culture » (crainte qui peut être fondée, par ailleurs), elle me semble néanmoins avoir le mérite de se porter sur quelque chose de fondamental dans la relation entre l’auteur et le lecteur, alors que toutes les autres s’appuient sur des influences externes à ce couple indispensable pour le devenir du livre, qu’il soit imprimé ou numérique.
@Alain « Merci de cette mise au point sur un article agaçant et nuisible, par son accumulation hétéroclite de clichés, de demi-vérités et de démagogie trop aisément démontables. (…)
Il est proprement démagogique de ressasser l’image émotionnelle du bois mort, réduit en purée, à propos du papier sans mettre en évidence que deux problèmes plus cruciaux sont induits par ce support :
la pollution induite par sa fabrication
la consommation d’énergie fossile induite par son transport »
>> Oui, cela vaut également pour le livre électronique. Transport depuis où déjà ? Taïwan ? + Acheminement vers tous les points de ventes pour tous types de périphériques de lecture + Obsolescence programmée « of course » (alors qu’un livre dans cent ans vous pourrez encore le lire et il sera passé entre plusieurs mains) + Consommation électrique induite (et pas simplement pour la lecture, mais la production des fichiers pour tous les périphériques, les serveurs,…) + etc.
Tous ces objets (ordinateurs, téléphones,…) sont des cauchemars environnementaux dont on ne sait déjà plus quoi faire (cf. Gomorra). (Et cette absurdité que dans certains pays les gens ont à peine de quoi se nourrir, mais ont tous des téléphones portables – et bientôt des ordinateurs. Il est vrai, à ce que l’on dit, qu’ils avaient déjà le Coca-Cola moins cher que l’eau…) Sérieusement, où va-t-on ?
>> A mettre en regard : les livres papiers permettent aux forêts de survivre, ne consomment pas d’énergie à l’usage, sont biodégradables, on peut allumer sa cheminer avec, les tirages sont de mieux en mieux ajustés à la demande, etc… Et surtout, il semble bien que le livre papier soit une chance pour la préservation des forêts.
Peut-être faudrait-il se poser les bonnes questions : notamment, c’est quoi le progrès ? Qu’est-ce qu’on est en train de faire ? Qu’est-ce qu’on va laisser ? Et aussi, c’est quoi l’écologie (la vraie pas l’argument de vente) ? C’est quoi l’économie ?
Le livre électronique – non, ce n’est pas un livre (voir la définition de l’UNESCO), un livre ne joue pas musique (c’est pourquoi d’ailleurs le terme liseuse paraît également impropre), pourquoi ne pas appeler ce périphérique « tablette », « tablette électronique » ou « tablette de lecture », une référence au passé et à un objet en dur, mais peut-être cette idée a-t-elle déjà été proposée (et les « Tablet PC » sont en voit d’extinction) – les tablettes de lecture auront également des conséquences sociales et culturelles – enfin, tout dépendra de leur pénétration sur le marché de la lecture.
Impacts environnementaux, sociaux et culturels me paraissent éminemment plus importants et critiques qu’une hypothétique et improbable évolution des formes d’écritures. (Ce dernier point est un point mineure par rapport aux autres enjeux : mais que peut bien nous apprendre de plus la tablette de lecture que le cdrom ne nous ait déjà appris ? Le génie littéraire, la littérature n’a pas besoins et n’aura jamais besoin de tout ce fatras : c’est une évidence. Tout au plus est-ce un cache-misère ou un argument de vente pour technophile. Bien au contraire, c’est que ce qui la pervertira, l’égarera et en plus détournera le lecteur. Mais il est vrai qu’en l’espèce nous sommes dans une logique de l’offre et non de la demande, et ce qu’en pensent les lecteurs…)
Je vous recommande de lire les commentaires à l’adresse qui suit. Il y a des remarques tout à fait intéressantes et pour moi inédites. Ça change de ce que l’on a l’habitude de lire, un appel d’air.
http://wrath.typepad.com/wrath/2009/01/la-fin-des-diteurs.html
Ping : Le livre numérique s’impose ?