Un commentaire vient d’être ajouté à l’un de mes précédents billets, sur le thème du devenir du « brouillon », à l’ère du traitement de texte.
Qu’est-ce qu’un brouillon ?
Est-ce qu’il se définit par son aspect ?
– mauvais papier un peu jaune des cahiers de brouillon de l’écolier versus beau papier lisse des cahiers de cours ou d’exercices
– ratures, surcharges, nombreuses traces d’hésitations, de repentirs, mélanges de textes et de croquis
Est-ce qu’il se définit par son statut ?
Toutes les versions d’un texte tant qu’il n’est pas publié, et cela incluerait alors le manuscrit corrigé, les premières épreuves etc.
Toutes les versions d’un texte tant que son seul lecteur est son auteur lui-même ?
La traduction littérale du mot « rough » est « rugueux » : un texte rugueux, l’image est belle, très matérielle, d’un texte qui n’aurait pas encore été poli, pas encore suffisament travaillé pour briller…
Ce service proposé par les éditions O’Reilly, d’un accès à des livres encore en train de s’écrire, s’applique fort bien au secteur des livres informatiques, où les innovations se succèdent à très grande vitesse, et où il peut être stratégique d’accéder « avant tout le monde » à de l’information sur une technologie, « to stay ahead of the curve ».
Il est aussi emblématique d’un état d’esprit particulier : j’écris pour des lecteurs, j’écris « devant » mes lecteurs, je pense devant eux, je pense avec eux, je n’ai pas peur d’être copié, j’écris avec eux, je n’ai pas peur de leurs remarques, leurs remarques m’intéressent, il n’est pas pertinent pour moi, l’auteur, de faire la démonstration d’une quelconque supériorité. Je ne suis pas drapé dans une merveilleuse solitude.
Encore une fois, cela s’applique bien à des livres d’informatique. A votre avis, à quels autres types de livres cela peut-il s’appliquer également ?
Moi j »appliquerais volontiers ça à la rédaction collaborative de wikipedia : les remords, ratures, ajouts et suppressions dans l’élaboration de définitions sont plus intéressants que le soudain arrêt sur image visé par le lexicographe.
La cosntitution de sens (pas « du » sens) comme un long fleuve, avec ses accélérations, chutes, débordements, ralentissements, méandres et dilution finale…
Bien sûr. Et on peut penser aussi au concept d’œuvre ouverte, etc. Mais ma question était plus triviale : quel autre type d’ouvrage (papier, produit d’une maison d’édition), pourrait faire l’objet de ce mode de « pré-vente » avec « accès à la cuisine pour soulever le couvercle des casseroles ». Peut-on imaginer par exemple qu’un éditeur de livres de « développement personnel » fasse du « Rough Cuts », pour recueillir des témoignages, (en admettant que des lecteurs aient une nécessité impérieuse d’accéder à un livre du style « et si ça venait du ventre » avant sa date de publication… ou un éditeur de livres scolaires, de poésie, de littérature générale (peu probable…)
Dans le cas du livre scolaire, la formule pourrait présenter certains avantages :
• pour la qualité de l’ouvrage, mise en conformité des pratiques effectives avec les exigences des programmes et de l’organisation de la scolarité;
• mesure de l’intérêt de l’ouvrage parmi les futurs prescripteurs;
• pour les contributeurs enseignants, préparation avancée et progressive des cours et outils à mettre en oeuvre;
• pour les « lecteurs » (élèves, étudiants), se mettre dans la position de l’enseignant-auteur est une situtation stimulante d’appropriation de savoir et savoir-faire (quelque chose comme l’expérience du tutorat, ou de l’explication fournie à un condisciple qui force à clarifier sa propre compréhension).
Mais…
l’édition scolaire est éminemment concurrentielle et les nouvelles idées susceptibles de faire la différence sont jalousement gardées jusqu’à la distribution des spécimens. Sauf à en revenir à la pratique des panels d’usagers (connus, soumis à des obligations de confidentialité), il paraît difficile de recourir à ces techniques dans un modèle économique traditionnel. Ou sur des parties déterminées de l’ouvrage ? les « livres du maître » ?
Pour répondre à la question posée en fin de texte: un guide. Ceux que j’écris peuvent être parfaits par les utilisateurs (corrections des erreurs, nouvelles découvertes etc..le guide est toujours en construction.
Voir ce que fait Ted Nelson toujours décalé et (im)pertinent, ainsi que ses idées sur le copyright.
Ping : big data, publication agile : et TOC ! « teXtes