Pas question, à peine revenue de mon intermède Polynésien et de trois jours à Francfort, de repartir presque aussitôt à San Francisco pour assister à la conférence Books In Browsers, qui se tenait les 27 et 28 octobre au siège d’Internet Archive, sous la houlette de Peter Brantley, avec la complicité de Kat Meyer, de chez O’Reilly. Mais, grâce à une diffusion vidéo de très bonne qualité, j’ai pu assister à la plupart des interventions, confortablement installée dans mon canapé.
L’écran de mon ordinateur était divisé en trois zones, l’une affichait la retransmission vidéo, une autre le fil Twitter avec le tag #bib11 – aujourd’hui, quelqu’un a posté l’ensemble des tweets sur Scribe – , et une troisième un traitement de texte, pour la prise de notes.
Le nom de cette conférence, « Books In Browsers » est un avertissement : ici, on aime les livres et on aime le web, et nul ne se sent obligé d’enterrer les uns pour célébrer l’autre, ou de sacraliser les premiers en méprisant le second. L’assistance (pas de Français, hélas, à part Hadrien Gardeur venu présenter la nouvelle version d’OPDS, mais des Espagnols, des Anglais, des Italiens, des Japonais, des Finlandais…) est composée d’éditeurs, de développeurs, de designers, de bibliothécaires, d’agents, d’auteurs, d’universitaires. L’ensemble est plutôt plus techno que dans les autres conférences, ainsi, lorsque Blaine Cook, un développeur venu présenter Newspaper Club demande à son auditoire combien d’entre ses membres savent ce qu’est Git, une forêt de mains se lèvent.
Je vous invite à consulter les présentations des différents intervenants, qui vont s’ajouter progressivement ici, et à regarder de temps en temps l’une des vidéos : elles s’ajoutent actuellement sur la chaîne YouTube d’O-Reilly. Et je ne vais pas me lancer dans une recension de l’ensemble des interventions, il y a là un matériau pour une bonne cinquantaine de billets… Quelques impressions, comme souvent sur ce blog impressionniste…
Richard Nash a proposé un bilan de son projet Cursor, et du site pilote Red Lemonade. Avec une transparence impressionnante, il a analysé publiquement l’échec de Cursor. Je n’ai pas su, a-t-il expliqué, trouver la « bonne histoire » à raconter aux investisseurs (Venture Capitalists). Les VCs veulent une bonne histoire, ils veulent aussi une histoire qu’ils reconnaissent, qui les rassure. Autant un projet bien peu pertinent comme celui de BookTracks, qui consiste à ajouter des bandes son sur des livres, a pu les convaincre, sur la base du « cela n’a jamais été fait » (comme si tout ce qui n’avait jamais été fait, il fallait absolument le faire…), autant le fantasme si répandu de la désintermédiation rendait le projet Cursor incompréhensible pour les investisseurs. Belle démonstration, ce témoignage de Richard, d’une qualité qui nous manque cruellement en France: celle qui permet de ne pas considérer un échec comme un désastre honteux, mais comme la preuve d’une capacité à innover, à sortir des sentiers battus et à prendre des risques.
Richard a décidé de continuer Red Lemonade sur une base bénévole, et, après avoir rencontré Valla Vakili, le fondateur de Small Demons, a été séduit par ce projet qui veut « rapprocher les livres, sources les plus riches et les plus denses de la culture, des autres objets culturels ». Le voici donc « VP of Content and Community » chez Small Demons, comme il l’explique ici.
La présentation de Small Demons par Valla Vakili m’a plutôt impressionnée. À première vue on se dit: « encore un Libraryting like, un site communautaire de partage de bibliothèques ». Il s’agit en réalité de tout autre chose, d’une plateforme qui extrait du web, se basant sur l’indexation du contenu des livres, des objets culturels en relation avec ces contenus. Ce n’est plus simplement l’algorithme d’Amazon qui dit : « vous avez aimé tel livre, ceux qui l’ont acheté ont aussi acheté celui-là, pourquoi pas vous ? ». C’est l’idée qu’un livre, y compris un roman, est bourré de références à d’autres objets culturels, qu’il s’agisse de morceaux de musique, de films ou de séries, de plats, d’objets, de lieux, et de proposer des liens, pour chaque livre, vers tous ces objets, et de se servir de ces liens pour proposer des découvertes. Il semble que l’ajout de liens entre livres et objets soit à la fois algorithmique et le fait des internautes. La démonstration donne réellement envie d’aller se perdre dans ce petit paradis de sérendipité que semble être Small Demons, pour l’instant en beta sur invitation. La vidéo de présentation est à voir.
J’avais un peu de mal à garder les yeux ouverts au moment où Brian O’Leary, (Magellan Media) a pris la parole car, avec le décalage horaire, il était plus de deux heures du matin samedi. Mais l’adresse de Brian était si ambitieuse, et entre si fortement en résonance avec ce que nous pouvons observer ici en ce moment, que je me suis vite réveillée. Eric Hellman, le fondateur de Gluejar, qui a lui aussi présenté son activité lors de la conférence, résume le propos dans son blog ce matin.
Eric cite Brian O’Leary : « Bien que les modèles économiques aient changé, les éditeurs et leurs intermédiaires continuent d’essayer de faire évoluer leur rôle sur le marché d’une manière qui suit typiquement la règle des négociations « deux parties – un résultat ». » Il dit ensuite :
O’Leary a évoqué les changements qui sont en train d’intervenir dans l’écosystème de ce que l’on a appelé « le monde du livre » : auteurs, agents, éditeurs, distributeurs, libraires, bibliothèques, et bien sûr lecteurs. Il a fait remarquer que les relations à l’intérieur de cet écosystème étaient aujourd’hui renégociées entre les acteurs sans prise en compte des changements à l’œuvre dans le reste de l’écoystème.
« En conséquence, les structures, les dispositions, les processus qui pourraient être bénéfiques pour l’ensemble de l’écosystème n’obtiennent pas toute la considération qu’ils méritent.
O’Leary a cité l’exemple de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer comme un modèle possible d’inspiration pour la redéfinition d’un écosystème de la lecture. La percée dans ces discussions a été permise par l’introduction de modèles tirés de la théorie des jeux qui ont aidé les parties à apercevoir les effets des accords et des dispositions relatives à tous les intervenants dans le droit de la mer. »
En effet, on trouve une note concernant la théorie des jeux dans ce rapport de la FAO, se rapportant à un chapitre où est évoquée cette Convention :
« Si le même genre de modèle pouvait être développé pour les activités entourant l’édition, il pourrait être possible de faire beaucoup plus que « sauver l’édition ». Une application intelligente et collaborative des technologies numériques devraient être en mesure d’accroître l’efficacité d’une industrie dont le but est de promouvoir la lecture, l’éducation, la culture et la connaissance.
Selon O’Leary, nous devons trouver des façons de financer le genre de recherche qui pourraient être la base de la modélisation de l’écosystème de lecture. Une possibilité serait de créer une organisation interprofessionnelle pour ce faire. »
Et Richard Nash de twitter aussitôt malicieusement :
Il y a encore beaucoup à dire à propos de Books In Browsers 2011, et j’aurais aimé notamment revenir sur les interventions de Bill McCoy concernant EPUB3, d’Hadrien sur OPDS, de Mary Lou Jepsen (Pixel Qi) sur les écrans et l’accessibilité, de Bob Stein sur les lectures connectées, de Craig Mod, James Bridle, Joseph Pearson, Javier Celaya et quelques autres.
Les livres sont aujourd’hui, de plus en plus, traversés par le web, percutés par le web, générés par le web, diffusés sur et par le web, réinventés sur le web. Les projets présentés à Books In Browsers par plusieurs start-ups (liste ici ) explorent différentes dimension de cette réinvention, start-ups qui ont aussi profité de cette conférence pour tisser des liens les unes avec les autres, construisant, notait Peter Brantley sur Twitter ce matin, l’écosystème d’une édition nouvelle génération (next gen publishing).
une industrie dont le but est de promouvoir la lecture, l’éducation, la culture et la connaissance
Eric Hellman me paraît bien optimiste quand il définit ainsi le but d’une industrie quand on entend partout ‘monétiser’ à la place de promouvoir.
Bien intéressant en tout cas de voir l’accent porté par Books in browsers sur la lecture (reading), à part au moins égale avec l’édition (publishing).
Mais à condition de résister à la tentation de monétisation/rentabilisation des profilages de nos lecture/écritures ?
À un propos pas étranger, très bel exposé de Bernard Stiegler, relayé par Christian Fauré (http://www.christian-faure.net/2011/10/31/pourquoi-et-comment-philosopher-aujourdhui/ ).
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